] Le Pavillon des conjurations [ par Alain Trehard

C'est un superbe livre qui vient d'entrer ces jours-ci dans mon Érothèque : ] Le Pavillon des conjurations [ d'Alain Trehard. Artiste plasticien, ce sont ici des photos qu'il nous propose, des photos matériellement retravaillées, où se mêlent érotisme et univers médical. J'ai rencontré Alain Trehard sur Facebook, et nous avons rapidement sympathisé, en raison de nos affinités de goût autour des arts érotiques. Il m'a fait découvrir plusieurs artistes que j'apprécie aujourd'hui particulièrement, dont notamment Gilles Berquet et Alphonse Inoue. Auteur bien sûr de l'ouvrage, il en est aussi l'éditeur, et surtout pour ainsi dire le réalisateur. Tiré à seulement 99 exemplaires signés, le livre a en effet été entièrement réalisé par ses soins. Et quels soins !

Sobriété et élégance

D'un beau format de 22 x 30,5 cm, ce livre a été conçu avec une rare élégance. Sous une sobre jaquette noire titrée en blanc, il ne contient que des photographies en pleine page imprimées sur un papier noir épais et légèrement texturé, relié par une couture. Cela offre aux images toute la place nécessaire pour s'exprimer librement, aucun texte n'entravant leur perception. Seules quelques lignes, sobres et poétiques, viennent clore le livre sur le rabat de la jaquette.

Eros dans l'abandon

Les photos ont été prises dans une maternité désaffectée, puis retravaillées pour "vieillir" l'image : tâches, pliures, griffures, etc. Et de fait ce qui frappe quand on feuillette le livre, c'est cette odeur de temps déchu, de passé désaffecté dans lequel viennent s'immiscer des femmes érotisées par les fétiches traditionnels : bas, talons hauts et porte-jarretelles. Les teintes sont froides, toujours bleutées, et les matières également : carrelage, métal, béton. Nous sommes en plein univers médical, celui de l'asepsie, d'autant plus brutal qu'il n'est habité par aucune vie : les lieux sont déserts, à l'abandon.

Esthétique chirurgicale

Il y a donc ici un contraste, presque un combat, entre l'érotisme et la mort (même s'il s'agit d'une maternité — mais la médecine est partout glaciale et analytique). Il y a une confrontation directe entre le désir, chaud et vivant, que l'ont peut éprouver pour ces corps féminins apprêtés, et l'inerte du lieu et de ses accessoires délaissés. De tout cela ressort un sentiment éminemment esthétique, mais également ambivalent et dérangeant. Une ambiance trouble et inquiétante en même temps que perverse, finalement.
De cet affrontement entre la pulsion de vie et l'austérité frigide de la mécanique clinique, il semble que ce soit finalement le second qui prenne le dessus. En effet, au fil des pages, les corps des modèles sont de plus en plus malmenés par les instruments médicaux, et apparaissent dès lors comme de la chair brute tiraillée, étirée. Ils en arrivent même parfois à s'effacer en tant que corps humains sous l'effet du gros plan. Le métal pénètre les chairs et les meurtrit, et l'âme s'évapore au profit de l'organique.

C'est ainsi un très beau travail que nous offre Alain Trehard dans ce livre, un travail où la beauté surgit du contraste entre les contraires fondamentaux de l'existence : chaud et froid, plaisir et souffrance, vie et mort. Cela donne des images puissantes et déstabilisantes, qu'il a su parfaitement révéler par leur incarnation dans cet ouvrage artistocratique. Je tiens ici à le remercier, pour nos échanges et ce présent.

Petite précision postliminaire...

Après avoir lu cette présentation, Alain Trehard m'a fait part d'une précision quant à son travail pour cet ouvrage. La voici : "Il y a un détail qui n’est pas relevé. Je ne le souligne pas tant il paraît logique pour moi, mais je dois imaginer que ma logique, tant je suis immergé dans mes images, ne peut pas être la logique de tout un chacun. Les images sont conçues en diptyques, chacune des parties se répondant l’une l’autre sous forme de clin d’œil.
Exemple : le second couple d’images [du livre], à droite, la femme tient un spéculum qui, en latin, signifie miroir ; à gauche, le cercle de métal forme un miroir dans lequel se reflète mon image (auto-portrait). Et la femme tend, offre ses fesses ; à gauche, il est question de prise… Pour celle de l’escalier, à gauche on voit cette spirale qui descend et va vers l’obscurité en suivant la rampe. À droite, la rampe sert de jeu érotique et c’est l’œil qui remonte vers le sexe et son obscurité joyeuse. Même parallèle entre le long couloir avec la lumière au bout et le vagin ouvert au spéculum et la lumière au fond. Les lavabos, éviers, robinets, tuyaux, siphons, réceptacles ou écoulements et les orifices qui s’y substituent.
L’idée étant effectivement de prendre les codes du médical doublés de ceux du lieu abandonné, avec cette odeur de mort, et de débarquer pour y jouer "au docteur" à faire des photos coquines en conjurant cette mort."

Informations complémentaires

Dimensions : 22 x 30,5 cm
Nombre de pages : 24 p.
Prix (neuf) : 26 €
Site de l'éditeur : trehard-photo.com (l'accès aux œuvres érotiques requiert un mot de passe : il suffit de le demander à Alain Trehard, via le formulaire "contact" de son site)