L'effarant sadisme de Joseph Farrel

"Humiliations" et "Parfums de souffrance", Joseph Farrel

Cœurs sensibles s'abstenir ! Les livres dont je vais parler aujourd'hui sont assez particuliers. Deux livres signés Jospeh Farrel aux titres sans ambiguïté : Parfums de souffrance et Humiliations. Vous l'aurez compris, on n'est pas ici dans le porno chic, la sensualité glamour ou l'érotisme joyeux. Non, on est en plein dans le sadomasochisme, et même dans le sadomasochisme le plus explicite. Car Farrel, dans ses dessins, aime avilir, torturer et humilier les femmes.
Les exemplaires que je possède sont parus chez Dominique Leroy, en 1978 et 1980. Ils se présentent tous deux sous la même forme : couverture souple, format à l'italienne (une constante, semble-t-il, pour les « Farrel ») et faible pagination. Sur chaque double page, un court texte à gauche (en français et anglais) et à droite, en regard, un dessin en noir et blanc. Les textes sont de Farrel lui-même dans les deux volumes (traduits en anglais par Robert Mérodack, avec qui Farrel a collaboré par ailleurs), construits comme de brèves nouvelles. Energiques et percutants, ils apportent aux dessins un arrière-fond narratif qui leur donne toute leur signification, expliquant le pourquoi de la scène qui s'offre à notre regard.

Femme attachée, un dessin de Joseph Farrel
Humiliations, Joseph Farrel

Farrel, un artiste souterrain

On trouve assez peu d'informations sur l'homme, et tout ce que j'ai pu en apprendre vient essentiellement de ce qui a été dit grâce à la récente édition, par Christophe Bier, d'un généreux ouvrage intitulé Farrel, reproduisant 200 de ses dessins, dont certains inédits (pour en savoir plus sur ce livre, c'est par ici : https://www.farrelartbook.com).
Farrel est donc né au milieu des années 30, et a commencé à vendre ses dessins dans les années 60, à des particuliers. Puis en 1977 paraît son premier recueil, intitulé Obéis ! sinon... Il sera suivi d'une dizaine d'autres (Parfums de souffrance, Vices et sévices, Supplices et plaisirs, Humiliations, Couleur sang, Douleurs fugitives, Le Rendez-vous de Sodomal, Les Seins torturés, Jeux cruels), parfois en collaboration avec d'autres auteurs, et parfois sous le pseudonyme d'Angelo. Son dernier livre à ce jour est sorti en 2012 : Pourquoi pleurent-elles ? Un livre qui, pour la petite histoire, ne sera pas publié sans mal puisque pas moins de quatre imprimeurs ont refusé de s'en occuper.

Des larmes de plomb

C'est que Farrel ne fait pas dans la dentelle, peu enclin à l'édulcoration ou au compromis commercial. Sa production a d'ailleurs été essentiellement diffusée via des circuits spécialisés (sex-shops, etc.), et on comprend pourquoi : ses dessins affichent un sadisme totalement assumé, où le plaisir ne se trouve quand dans la souffrance et l'humiliation de l'autre.
Dans les deux titres que je possède, cet autre est toujours une femme : jeune épouse à former, impertinente à recadrer, adolescente à éduquer... Farrel exécute ses dessins à la mine de plomb avec une précision remarquable, apportée notamment aux visages et à leurs expressions. Les victimes sont en pleurs, et on voit clairement sur leurs joues couler les larmes. On voit leurs traits déformés par la honte et la souffrance. Et on voit l'assurance satisfaite et le plaisir pervers du bourreau et de ses convives.

femmes punies dessin de joseph farrel
Parfums de souffrance, Joseph Farrel

Femme dénudée en public dessinée de Joseph Farrel
Humiliations, Joseph Farrel

Le lecteur est un voyeur

Car, et c'est une autre chose caractéristique chez Farrel, l'acte de torture ou d'humiliation ne se déroule jamais en privé. Convives bien choisis, complices, public de badauds, c'est toujours devant d'autres que le châtiment est infligé. Des autres qui prennent également un malin plaisir à observer la scène, voire à y participer. Et finalement, en regardant les dessins de Farrel, c'est précisément cette place qu'il nous attribue : le lecteur est toujours le voyeur complice de ce qui se déroule devant ses yeux. C'est d'ailleurs me semble-t-il une dimension récurrente dans le sadomasochisme en général, sans doute car la domination de l'autre ou la soumission de soi ne peuvent être complets que s'ils sont publics.

Femme punie en public un dessin de Joseph Farrel
Parfums de souffrance, Joseph Farrel

Torture des seins un dessin de Joseph Farrel
Parfums de souffrance, Joseph Farrel

masturbation forcée un dessin de Joseph Farrel
Humiliations, Joseph Farrel

Femme offerte à des inconnus, un dessin de Joseph Farrel
Humiliations, Joseph Farrel

Du sadisme du quotidien

En revanche, le sadisme de Farrel est rarement du masochisme, au sens où les femmes maltraitées chez lui ne sont pas consentantes. A cet égard, nous sommes ici bien plus proches de Sade que d'Histoire d'O par exemple. Il ne s'agit pas d'accepter la souffrance pour prouver son amour ou en contrepartie d'un don de soi libérateur, mais de la subir sous la force et la contrainte. Toutefois, comme le souligne Christophe Bier dans ses interventions sur Farrel, pas de donjon ici ni de château à Roissy. Pas de longues capes, pas de masques, pas de fioritures : on est dans un sadisme du quotidien, qui s'exerce le plus souvent dans des pavillons de banlieue ou des appartements de la classe moyenne.

Femme soumise à un lavement, un dessin de Joseph Farrel
Parfums de souffrance, Joseph Farrel

Femme humiliée et torturée, un dessin de Joseph Farrel
Humiliations, Joseph Farrel

Le goût de l'artisanat

Cependant, on relève aussi chez Farrel un certain goût de l'artisanat dans l'instrument de torture. Car outre l'humiliation classique de la mise à nu en public ou de l'acte sexuel imposé (si possible avec des hommes aux membres généreux), Farrel aime particulièrement meurtrir les seins, étirer les parties sensibles (tétons, lèvres vaginales, clitoris) et dilater les orifices. Pour cela, il y a bien sûr les pinces, les aiguilles, les orties, et tous ces petits objets ordinaires qui trouvent toujours à s'employer intelligemment (bouteilles, bougies, etc). Mais il y a aussi d'ingénieux instruments qui méritent d'être mentionnés. Ainsi, l'auteur imagine par exemple un corset métallique emprisonnant les seins dans lequel se vissent des pointes. Ou encore différents pals de diamètres croissants, disposés de telle manière que la victime, ne pouvant se soutenir que par ses mains, finit inexorablement par engloutir sous l'effet de la fatigue. Et il y a aussi - sans doute mon préféré - ce diabolique mécanisme à la portée de tout bon bricoleur où un robinet coulant goutte à goutte rempli un seau d'eau qui tire de la sorte toujours plus fort sur la partie du corps à étirer...

Femme torturée, clitoris étiré, un dessin de Joseph Farrel
Parfums de souffrance, Joseph Farrel
    
Bref, il y aurait beaucoup de choses à dire encore sur Joseph Farrel, son soin du détail et du réalisme, son goût pour les poitrines opulentes, son rapport à la famille, la crudité de sa violence, etc. Je n'épuiserai pas le sujet ici, et je suis loin de connaître l'intégralité de son œuvre. Mais ce qui est sûr, c'est que nous avons affaire avec lui à un maître incontestable du dessin sadique, tant dans la richesse de l'imagination que dans la précision et la force de la réalisation artistique !

Informations complémentaires

ISBN : aucun
Format : 27 x 21 cm
Nombre de pages : 64 (Parfums de souffrance) et 62 (Humiliations)
Prix moyen d'occasion : 50-80 € chacun


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