"Histoire d'O", par Leonor Fini
Avec cet article, je continue l'effeuillage de mes dernières acquisitions commencé ici et ici. Et le livre que je vais vous présenter, c'est du lourd ! Du lourd par sa qualité et sa rareté, et du lourd par ses dimensions. 41 cm de haut sur 30,5 de large, autant dire qu'on ne le trimballe pas partout pour le feuilleter.
Une édition du Cercle du Livre précieux
L'ouvrage se présente dans un coffret muet recouvert de velours noir. Seule sa tranche affiche, en lettres dorées sur un rectangle ivoire, le titre : Histoire d'O, illustrée par Leonor Fini. Il s'agit de la première édition de grand luxe, réalisée aux dépens du Cercle du Livre précieux (encore lui...), par les ateliers d'art de Beaufumé (sans doute Maurice Beaufumé, que nous avons croisé à propos d'Une nuit d'orgies à Saint-Pierre Martinique) concernant les illustrations et par l'Imprimerie française des arts graphiques pour le texte. L'impression et la fabrication de l'ouvrage ont été accomplies sous la direction technique de Claude Tchou (le fondateur du Cercle du Livre précieux), et achevées le 26 mars 1962.Le tirage de l'ouvrage est plutôt confidentiel : 350 exemplaires au total (plus 2 exemplaires réservés à des amateurs). Mon exemplaire fait partie des 314 du tirage "courant", réalisé sur vélin d'Arches pur chiffon.
Histoire d'O, un classique de l'érotisme
Cette édition d'Histoire d'O reprend le texte intégral du roman de Pauline Réage (pseudonyme de Dominique Aury), avec l'introduction de Jean Paulhan (Le Bonheur dans l'esclavage). Inutile, je crois, de revenir sur le récit tant le livre est connu. Publié en 1954 par Jean-Jacques Pauvert, il a fait l'objet de nombreuses rééditions, éditions spéciales et adaptations. Il y a eu le film bien sûr, réalisé par Just Jaeckin, sorti en 1975, mais aussi l'adaptation en BD par le dessinateur italien Guido Crépax (en 1975 aussi, sauf erreur de ma part). Il y a eu également les dessins de Loïc Dubigeon (Cent dessins pour illustrer Histoire d'O, Club du livre secret, 1981) ou encore l'édition illustrée par la photographe Doris Kloster, parue en 2000 en France aux éditions de la Musardine, dont j'ai déjà parlé ici. (Je ne connais pas tout ce qui a été fait à partir et autour d'Histoire d'O, mais, pour les amateurs, je conseille l'excellent blog Story of O. Vous serez comblés.)Cette édition illustrée par Leonor Fini a elle-même été reprise en 1968, dans un format plus classique, sous le label des éditions Claude Tchou, ainsi que par le Cercle du livre précieux, puis en 1975 aux éditions Jean-Jacques Pauvert. La mienne comprend 12 illustrations couleurs en pleine page, 4 dessins au trait noir en ouverture de chapitre, ainsi que quelques magnifiques bandeaux et un cul-de-lampe. Voici deux bandeaux, pour le plaisir des yeux :
Deux mots sur Leonor Fini
Inutile de faire semblant, je ne connaissais Leonor Fini que de nom, pour avoir précisément illustré Histoire d'O. Mais ça ne va pas m'empêcher de vous en dire deux mots, car comme disait je ne sais plus qui (Desproges, il me semble), si l'on ne devait parler que de ce que l'on connaît vraiment, le prêtre pourrait-il parler de Dieu et le communiste de justice sociale ?Bref, née en 1908 et morte en 1996, elle fut peintre, décoratrice de théâtre et écrivain, proche du mouvement surréaliste. Elle a également illustré plusieurs textes, dont des œuvres de Poe, Baudelaire, ou encore la Juliette de Sade. Enfin, elle aimait beaucoup les chats...
Je trouve ses compositions pour Histoire d'O singulièrement troublantes. En effet, bien que n'étant pas explicitement érotiques, elles dégagent une force et une sensibilité qui exprime merveilleusement la contrainte et la violence volontaires que subit O tout au long du récit. Et de cette force naît précisément à mon sens l'érotisme. En cela, ses illustrations coïncident parfaitement avec le texte qui lui aussi — et c'est sans doute ce qui a fait son succès mérité — parvient à transporter le lecteur dans un univers puissamment érotique et fantasmatique en se tenant cependant à l'écart de toute pornographie. Une élégance artistique que l'on retrouve superbement rendue par l'illustratrice, et admirablement valorisée par l'éditeur. Du grand art, sans fausse note !
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