L'érotisme métaphysique de Yoshifumi Hayashi
Après plusieurs semaines de silence, il était temps que je vous présente un autre bouquin. Ce sera aujourd'hui les Cent dessins érotiques de Yoshifumi Hayashi. Comme son nom l'indique, il s'agit d'un recueil de dessins de l'artiste japonais. Très peu de texte, donc, hormis une brève introduction du cinéaste Walerian Borowczyk*, traduite en plusieurs langues (dont le japonais). Les dessins sont tous en noir et blanc, probablement réalisés à la mine de plomb, et reproduits en pleines pages.
Daté de 1982, ce livre est à ma connaissance la première publication d'Hayashi. On la doit au Club du Livre secret, qui édita d'autres ouvrages de ce type, dont un Cent dessins pour illustrer Histoire d'O, par Loïc Dubigeon. Le volume adopte un format carré (20,5 x 20,5 cm), avec une couverture rigide en similicuir noir. À l'intérieur, une centaine de dessins (je ne les ai pas comptés, faisons confiance au titre) reproduits sur un papier couché qui fait honneur aux nuances de gris.
Un artiste mystérieux
Je n'ai finalement trouvé qu'assez peu d'informations concernant Yoshifumi Hayashi. Né au Japon en 1948, il s'installa en France, à Paris, dès 1974, où il demeure apparemment encore. Son travail a donné lieu à une quinzaine d'expositions exclusives à travers le monde, à Paris (dont une aux Larmes d'Eros), à Tokyo bien sûr, à Los Angeles, et à Rome (Mondo Bizzarro Gallery). Concernant sa bibliographie, j'ai recensé six titres hormis ces Cent dessins érotiques. Il y a ainsi Femmes de plomb en 1993, une plaquette semble-t-il autoéditée, puis trois titres aux éditions japonaises Treville : La Jeune Mariée d’un matérialiste enceinte de cerveaux en 1994, Traités secrets échangés entre monsieur Y., physiologiste, et un hermaphrodite vaguement séquestré dans le boudoir d’une récente mariée en 1996, et Le Carnaval pour Roméo et Juliette en 1999. Un catalogue d'exposition fut également édité en 2003 par la galerie Mondo Bizarro : Les Foyers infinis, et enfin, en 2014, parut Le Principe de la constitution, aux éditions Atelier Third. Je sais également que la revue Maniac, de Gilles Berquet, aux éditions Astarté, avait reproduit quelques dessins en 1995, dans son troisième numéro.L'abîme du désir
Dans ce livre, l'érotisme de Yoshifumi Hayashi est tout entier porté par la femme. Pas d'accouplement, pas de relation entre personnes ici, mais seulement des chairs offertes qui expriment un désir brut venu des profondeurs. Les femmes d'Hayashi sont sensuelles, par leurs courbes, leurs accessoires vestimentaires, mais d'une sensualité que je qualifierai d'organique. Les orifices sont béants, les corps sont des viandes. De plus, les visages sont souvent invisibles – qu'ils soient hors champ ou inaccessibles au regard du fait de la position –, de sorte que les personnages apparaissent souvent comme anonymes, dépossédés de toute personnalité individuelle. En ce sens, les dessins de Yoshifumi Hayashi constituent une incarnation du désir. Un désir fondamental et universel qui se concrétise volontiers dans des images aux connotations surréalistes.La mécanique des fluides
Chose paradoxale d'ailleurs, ces corps sont très souvent dégoulinant de ce qui paraît être du sperme. Comme si l'acte avait été consommé. Et pourtant, à de rares exceptions près, on ne perçoit pas d'assouvissement, mais comme un appel sans fin de la chair, un besoin comblé et cependant toujours insatiable. L'élément liquide est d'ailleurs très présent dans ces dessins, sous forme de sperme, de sécrétions vaginales, de sang plus rarement, ou de vastes étendues aquatiques qui constituent le fond de l'image.La solitude des corps
À ce propos, j'ai lu quelque part qu'Hayashi aurait été inspiré par Giorgio de Chirico. Cela paraît très probable lorsqu'on regarde les cadres dans lesquels il dessine ses femmes. Hormis les éléments liquides et organiques, les formes sont géométriques, anguleuses. Elles évoquent le béton. Elles sont froides, anonymes, sans décor. Il y a finalement comme une opposition frontale entre les corps avides de plaisir et de satiété et la réalité que dépeignent ces cadres inertes et inhospitaliers. Et d'ailleurs, je notais tout à l'heure qu'il n'y avait pas de couple dans ces dessins érotiques de Yoshifumi Hayashi, mais uniquement des femmes. Il faut ajouter que celles-ci sont toujours seules. Et de fait, il émane de ces œuvres un fort sentiment de solitude, celle du corps pris dans ses pulsions et qui ne parvient jamais à les assouvir totalement, à accéder enfin au repos de la satiété.Un érotisme métaphysique
Évidemment, je n'ai pas l'intention (ni la prétention) d'épuiser ici tout ce qu'il y aurait à dire sur ces dessins. Mais il y a une chose qui me paraît décisive, c'est qu'ils dégagent une puissante force érotique, qui cependant laisse au spectateur un sentiment équivoque. Bien sûr, l'érotisme de Yoshifumi Hayashi n'est pas un érotisme joyeux tel celui de Peter Fendi. C'est un érotisme plutôt marqué par la contrainte, la violence et la douleur. Mais celui-ci n'a rien à voir avec celui d'un Joseph Farrel par exemple. Chez Farrel, la violence est exercée par des hommes sur des femmes, entre personnes, pour le plaisir des tortionnaires. Ici, la violence provient du corps lui-même, du désir qui le malmène et le tenaille sans échappatoire ni possibilité d'assouvissement. Il est comme un besoin insatiable venu du fond de l'être, un vide infini qui appelle la chair. Cet appel n'est pas celui du plaisir, mais celui d'un manque impossible à combler, d'un trou sans fond qui engloutit et absorbe celui qui y succombe. En ce sens, je dirais que l'érotisme de Yoshifumi Hayashi est métaphysique, non pas tant pour sa dimension finalement assez judéochrétienne, mais plutôt en cela qu'il donne à voir le vide fondamental auquel nous sommes confrontés. Mais je vous laisse vous faire votre propre opinion, avec ces quelques dessins supplémentaires...Informations complémentaires
ISBN : 2-903901-01-5Format : 20,5 x 20,5 cm
Nombre de pages : 120
Prix moyen d'occasion : 30 €
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* Quelques recherches sur internet m'ont d'ailleurs appris que ce dernier a réalisé un film documentaire sur Hayashi, ou du moins sur ses œuvres, dans les années 1980 : Hyper Auto Erotic Art.
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